Dans le froid mortel de l’exil
1
On serait là
au coeur des choses
à défier la nuit
à défier le tempsOn resterait là
debouts encore
dans le fracas du monde
à espérer
à résister2
Nous avons le regard brisé
et nos mains sont videsLes heures les nuits les saisons
et la douceur des choses
voici soudain qu’elles nous échappentMais qui nous entendra ?
qui nous rendra enfin
la mémoire du pays natal ?3
L’oubli du temps
l’effacement du temps
sont peut-être
notre unique chance
de survivre…4
Soleil des jours
tu as calciné
un à un
nos rêvesDepuis
nous te guettons
en vain
dans le froid mortel de l’exil5
Tellement loin
de la vie qui bat là-bas…Tellement loin
de la mer, de l’odeur de la mer là-bas…Et ici tellement lourd à porter
le poids des choses
le poids des jours
dans les greniers de la mémoire…— Bernard Mazo, Dans le froid mortel de l’exil
Les bibliothèques publiques regorgent de ces trésors qui ne se découvrent que par hasard. Au détour d’un mot-clé, d’une recherche un peu bancale, nous voici avec quelques ouvrages indifférents entre les mains. Il suffit de les ouvrir pour les apprivoiser, qu’ils nous soufflent quelques mots au visage pour que nos yeux s’y attardent. Ils savent qu’au moindre mot en excès, ils regagneront l’étagère sur lesquelles le temps s’égrènent lentement. Où les quelques passants occasionnels s’arrêtent rarement à contempler la possibilité de leur contenu. Le lecteur ne mesure que rarement son pouvoir, et dans la pile de livres que j’ai sorti jusque ma table, je sais que le tri sera injuste, que les critères de sélection seront arbitraires, aussi bien selon le contenu, que la couverture, la longueur ou le nombre déjà sélectionné. Même parfois, il n’y aura pas d’examen, et le livre aura fait un aller-retour absurde, de l’intérieur à l’extérieur sans en être fondamentalement changé.
Ainsi il fut du recueil de Bernard Mazo. Je le cueillis entre divers opuscules qui chargeaient mes bras à mesure que j’écumais les étagères, ma liste entre les dents. Je regagnai ma table pour y déverser ma moisson, trier l’ivraie du bon grain. Il en est peu de ces livres qui nous serrent le coeur, celui-là en fut un. J’ai les larmes difficiles, la mort et l’amour ne m’émeuvent qu’à contre-temps ; non que cela ne me transporte point, non, seulement, les larmes ne me viennent qu’avec la poésie – la mort et l’amour sont propices à la poésie. Certes ce ne fut pas un torrent, juste quelques doigts qui essuyèrent mes cils. Ce fut rare, sans être beau, ni bête, ni laid. Ce fut rare, et je pouvais compter le nombre de fois que cela se produisît – deux mains suffisent.
Je lus le recueil à l’envers, en tournant rapidement les pages, me laissant envahir par le torrent des mots sans m’y arrêter. La lecture automatique. Je ne l’ai même pas fini, pour avoir le plaisir d’y revenir – comme un baiser laissé en suspens.
Bernard Mazo est un inconnu pour moi – il n’est qu’un nom d’auteur sur un livre, peut-être même un pseudonyme. Je répète lentement – Bernard Mazo – impossible d’en savoir plus, des milliers de visages défilent dans ma tête, cherchant une correspondance entre des phonèmes et des traits. Mais la proximité du poème, relation ambigu d’assonances et de dissonances, demeure – sans qu’il n’y ait aucun autre interlocuteur que la parole poétique elle-même.
Excusez l’impolitesse de ne pas décrire, ni même commenter sa poésie, d’en dégager des leçons définitives,
[…]
car
tout poème
est à la fin
pur éclat
inqualifiable
— Cicatrice du poème
—
(1) il semble que l’écran soit peu propice à la poésie. En relisant ce post, je réalise que la tonalité et le rythme du poème sont fondamentalement changés ; je perçois un malentendu entre le verbe et sa résonance. Si pour lire des journaux ou des articles, je trouve à ce medium plus de qualités ; il n’en est pas de même pour les romans, a fortiori la poésie.
(2) le texte est reproduit sans autorisation, les références sont dans la page biblexilographie
Votre blog m’intéresse énormément! Merci pour ce travail de connexion entre les penseurs de l’exil!
Je me permets de créer un lien entre notre blog et le vôtre.
http://exilplan-marseille.blogspot.com/
Cordialement.
Sabine Günther (Marseille)