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I

Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil,
Les clés aux gens du phare, et l’astre roué vif sur la pierre du seuil :
Mon hôte, laissez-moi votre maison de verre sur les sables…
L’été de gypse aiguise ses fers de lance dans nos plaies,
J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisons,
Et, sur toutes grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante.
Les spasmes de l’éclair sont pour le ravissement des Princes en Tauride.

— Saint-John Perse, Exil, I

Voici peut-être le plus riche et profond poème qu’il soit donné de lire sur l’exil ; Saint-John Perse s’est plus que quiconque identifié à l’exilé. En habitant cette condition, il s’en est fait son interprète le plus remarquable en en extirpant la contradiction, la précarité et la beauté.

Diplomate brillant, proche collaborateur d’Aristide Briand, Alexis Léger suit une carrière remarquée au Ministère des Affaires Étrangères. Fervent partisan de la Politique des Pactes, il s’applique à maintenir la paix en contribuant au retrait des troupes françaises de la Rühr et à la conférence de Locarno en 1925. La résistance de Briand aux multiples changements de gouvernements de la IIIè République permet à Alexis Léger d’occuper un rôle proéminent dans la préservation de la paix, participant activement à la rédaction et la signature du pacte Briand-Kellog en 1928. Après la mort de Briand en 1932, il devient Secrétaire Général du Ministère, poste qu’il occupe sans discontinuité jusqu’en 1940, en poursuivant sa « pactomanie » avec différents pays pendant la décennie. Il prône la non-intervention dans la guerre d’Espagne et tente de s’opposer à Munich au démantèlement de la Tchécoslovaquie, sa véhémence auprès de Daladier à ce sujet le fait passer pour un belliciste. À la suite d’intrigues de couloir au Quai d’Orsay, il est démis de ses fonctions en 1940, il part alors pour l’Angleterre d’où il rejoint les États-Unis. À la gloire parisienne succèdent la précarité et le dénuement à New York. Il est déchu de sa nationalité française par Vichy, son appartement est pillé par la Gestapo. Ce n’est qu’en 1941 que sa situation s’améliore sensiblement grâce à l’intervention d’Archibald MacLeish, directeur de la Bibliothèque du Congrès. C’est cette même année qu’est rédigé et publié Exil, l’année où le diplomate et l’homme public Léger s’efface et rejaillit dans le poète Saint-John Perse, où finalement l’exil géographique est l’évidence d’un exil plus profond d’une vie emplie d’honneurs et de succès.

Néanmoins, le poème Exil, chant dense et complexe, écrit dans une révérence à la langue, est une introspection symbolique et fantasmagorique de l’exil. Les thèmes souvent repris sont l’errance, l’étrangeté, la mer et le sable, mais surtout la liberté et la poésie comme attributs des Princes de l’exil qui déclinent leurs odes sur ce mode hyperbolique.

Cette première strophe offre la reprise du thème du seuil d’où l’exilé commence son chemin, les portes ouvertes sont celles de l’horizon marin, de la navigation infinie. Le phare offre une figure étrange, ancré dans la terre, il résiste à la violence des éléments. Sa solidité et hauteur verticale servent de guide pourtant aux navigateurs en route ; la lumière qu’il projette éloigne des récifs. Il marque le seuil entre terre et mer, immobile dans le mouvement permanent, il est une borne de l’exil, pas d’une porte qui se mesure à l’horizon. L’hôte est une figure récurrente chez Perse, lui-même accueilli à cette époque par quelques mécènes américains, mais n’est-il pas cette personne dont les intentions ne peuvent être percées par l’exilé. Ne sommes-nous donc pas en dérangement ? L’hôte ne veut-il pas nous retenir, nous fixer ? Non que sa générosité soit factice, mais celle-ci est le trait d’une permanence du lieu, la marque que l’exilé lui, au contraire, ne peut être l’hôte, ne peut ouvrir les portes d’une maison qu’il ne voudrait pas bâtir pour lui-même, car celle-ci ne peut être qu’une « maison de verre dans les sables ». Habitat hypothétique qui laisse transparaitre les étoiles, hôtes véritables de l’exil, qu’un toît priverait la vue. Le sable comme seul paillasse, ce seuil naturel entre le mouvant et l’immobile. Néanmoins, un seuil permanent que les saisons dans leur succession toujours répétée ne peuvent informer, ni déformer. L’ossuaire des saisons signale la fin de l’abondance qu’elles procurent, des évènements sans fin dont le cycle se révèle aussi changeant que son déroulement est stable. Ce n’est que sur la grève, ce lieu non-informé, que le seuil devient ce Janus sans visage, le seuil informe ; ce n’est que là que s’observe la naissance de l’exil, quand se sont retirés les émerveillements éclatants qui encombrent de sensations artificielles le cheminement poétique. Ce n’est qu’en ce lieu frontalier de la marche assourdissante du monde que nos ravissements cesseront d’être « les spasmes de l’éclair », que le « dieu fumant » désertera devant la désolation,

que des sables du rien montera alors le chant pur de l’exil, seulement dédié au vent, compagnon inlassable de voyage.

Tauride : Ancien nom de la Crimée
Pour en savoir plus sur Saint-John Perse

Leonard Cohen – The Stranger Song

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